Episode #2: Richard Gibbs

Listen to this episode from Musicians' Teatime on Spotify. Gabriel Chesnet chats with multihyphenate music industry veteran Richard Gibbs, retracing his career from dreams of jazz fusion to studio ownership, film scoring, rockstar life and giving back to others in the music industry.

↓ Traduction en français ↓ | English transcript

Richard Gibbs - Raconte-nous une histoire! Les contes de l’industrie de la musique et le renvoi de l’ascenseur

Gabriel Chesnet
Salut, c'est Gabi !

Cyd Levine
C'est Cyd !

GC
Et c’est Musicians’ Teatime.

CL
Aujourd'hui, nous avons un invité spécial que nous attendions avec impatience. Il est l'un des membres fondateurs de l'un de nos groupes préférés. Tu veux en dire un peu plus sur notre invité aujourd'hui ?

GC
Oui, c'est Richard Gibbs, un vétéran de l'industrie musicale, un vieux loup de mer. Au cours de cette interview, nous suivons sa carrière de Berklee à Woodshed Recording, en passant par la vie de rockstar dans Oingo Boingo, le travail de session pour des gens comme Robert Palmer, Aretha Franklin ou Tom Waits, la musique de film, et plus encore.

Curieusement, on reviendra sur l'histoire des syndicats dans l'industrie de la musique, mais surtout sur quelque chose que Richard organise depuis une bonne partie de la dernière décennie : Le Composers Breakfast Club, un rendez-vous hebdomadaire du lundi matin pour les artistes et les non-artistes - comme vous le découvrirez, c'est un endroit riche en personnes intéressantes pour stimuler la pensée critique.

CL
J'aime la pensée critique. Je pense qu’on en manque en ce moment, mais c'est une autre histoire.

Richard a aussi son propre podcast, qui compte des tas d'histoires et d'anecdotes sur 40 ans de travail dans l'industrie de la musique. C'est un podcast équilibré, surréaliste, parfois touchant, qui incite à la réflexion et soigneusement conçu, tant sur le fond que sur la forme.

GC
Sans plus tarder, passons directement à cette discussion généreusement accordée. Détendez-vous et profitez-en !

GC
Bienvenue, Richard, vous êtes notre deuxième invité du podcast Musicians' Teatime d’Acid Airplane Records. Comme nous sommes originaires de France, et je ne sais pas si beaucoup de gens vous connaissent ici. Pensez-vous pouvoir vous présenter et présenter votre carrière ?

RG
Oh, mon Dieu. Oh, cherchez mon nom sur Google. Enfin, allez sur Richardgibbs.com, je suppose, et c'est le moyen le plus facile de le savoir. Je me sens toujours mal à l'aise de parler à quelqu'un et de lui dire ce que je fais, ce que j'ai fait. Mais pour résumer, je suis une rock star réformée, je suppose, et un musicien de studio devenu compositeur pour le cinéma et la télévision, producteur de disques, propriétaire de studio et généralement entrepreneur dans l'industrie du divertissement.

GC
C'est vrai. Vous êtes donc le propriétaire du studio Woodshed, c’est bien ça ?

RG
Ça s'appelle Woodshed Recording. Il est disponible en ligne, c'est woodshedrecording.com.

GC
Oui, j'ai vu qu'il y a du matos très chouette là-bas. On y reviendra probablement plus tard, parce qu'il y a tout un tas de choses qu'on peut explorer aujourd'hui. Mais vous avez aussi un podcast vous-même, vous êtes un excellent conteur, beaucoup de gens vous le disent.

RG
Oui, c'est invisiblearts.com. Arts au pluriel, invisiblearts.com, et ça s'appelle comme ça parce que la musique est le seul art invisible.

GC
C'est vrai ! Je n’y avais jamais pensé comme ça. Donc, moi-même, j'ai 21 ans, je viens d'obtenir un diplôme en management musical, et j'ai eu ce sentiment en entrant dans l'industrie qu'il pourrait y avoir un peu de désespoir et de désillusion. Avez-vous ressenti ça à l'époque, quand vous avez obtenu votre diplôme- vous avez fait Berklee, c’est ça ?

RG
Oui, je suis diplômé en composition classique du Berklee College of Music.

GC
Je vois. Qu'avez-vous ressenti à l'époque ? Vous êtes diplômé et vous vous lancez dans l'industrie ? Est-ce que c'était différent ?

RG
Eh bien, j'étais différent. Tout était différent. Enfin, je ne suis pas du tout allé à Berklee dans le but de devenir compositeur pour le cinéma. J'ai étudié la composition, mon diplôme est en composition classique, mais mon but... Je voulais être Joe Zawinul, et tu ne sais probablement pas qui c'est, mais c'était mon héros; le claviériste fondateur ou co-fondateur du groupe Weather Report. Il jouait avec Miles Davis et tout le monde. C'était vraiment ce que je voulais faire, être comme Joe Zawinul. Je voulais être un interprète, un musicien et un compositeur dans ce domaine. Mais le destin avait d'autres idées en tête pour moi.

GC
À ma connaissance, vous avez fait ça pendant un certain temps.

RG 
Pas vraiment. Je n'ai pas fait ce que je voulais vraiment faire, c'est-à-dire du Weather Report, du Mahavishnu Orchestra, tout ça. D'autres artistes qui sont très jazz fusion, tout est dans la technique, la maîtrise et la composition dans ce style. Et j'ai essayé, j'ai fait des choses comme ça très très tôt, mais relativement vite, j'ai commencé à prendre toutes sortes de tournants. En fait, j’ai un épisode là-dessus. Un de mes épisodes parle de Miles Davis, de la façon dont j'ai été attiré par la musique de Miles Davis, comment j'ai commencé à suivre cette voie et comment je n'y suis pas allé. J'ai fini par aller ailleurs.

GC
Je vois. Je crois que j'ai écouté cet épisode, vu que je les écoute toutes les deux semaines au fil des sorties. Ce qui est super, c'est qu'ils sont très compacts. On se sent très à l'aise. On a vraiment l'impression que vous racontez, comme vous l'avez dit, des histoires à vos petits-enfants.

RG
Oui. Si tu veux, je les scripte. J'utilise ce terme en vrac, mais je les écris d'abord. La plupart des histoires sont des histoires que j'ai racontées un million de fois, mais je les écris quand même. Puis je crée comme des petites émissions de radio. Ce n'est pas un podcast typique, là où les podcasts sont généralement des interviews, ou deux gars qui parlent autour d'un micro. La plupart des podcasts durent entre 45 minutes et 2 heures, je n'ai pas la patience pour ça. Donc en tant qu'auditeur, je les aime courts et clairs. J'aime les histoires. Un début, un milieu et une fin, puis on remballe et c’est bon. C'est le but que je me suis fixé au départ. 

Ce n'est pas moi qui ai lancé le podcast. Je n'ai jamais créé de podcast, c'est ça qui est drôle. J'avais une histoire que je racontais, une histoire vraie sur la façon dont j'ai fini par travailler avec Robert Palmer. Encore une fois, tu ne sais peut-être pas qui était Robert, mais il a eu plusieurs gros tubes. [GC : Je le connais !] Très bien, donc j'ai fini par enregistrer, jouer, être musicien de session sur certaines œuvres de Robert Palmer. 

Tout a commencé lorsque j'ai écrit une lettre de plainte à Robert Palmer, parce que je vivais dans une copro' juste à côté de chez lui et sa musique m'empêchait de dormir. J'ai fini par le rencontrer, puis j'ai joué sur des démos, ce qui m'a amené à enregistrer sérieusement avec lui à Compass Point aux Bahamas, puis quelques mois plus tard à Milan, en Italie. Et j'ai joué sur la chanson "Simply Irresistible". L'album entier s'appelait Heavy Nova, j'y jouais les claviers. C'est donc ce premier podcast. C'est une histoire que j'avais racontée maintes fois et je l'avais bien en tête.

Je savais que j'avais raconté l'histoire tellement de fois que tout était mémorisé, et je l'ai enregistrée juste pour rigoler, vu que j'en avais marre de la raconter. Je voulais juste l'enregistrer pour que, si quelqu'un me demande comment ça s’est passé, je puisse lui dire “Ouais, je t’envoie ça tout à l'heure" (rires). Puis pendant que j'y étais avec mon ingé son, on a commencé à s'amuser, à mettre des effets sonores et à ajouter des chansons appropriées à l'histoire - dont Simply Irresistible - tu vois, des petits bouts de trucs pour illustrer l'histoire, et on a tout remballé, envoyé le tout à mon manager, en lui disant simplement : "Hé, peut-être que ça va te faire marrer. Je veux plus raconter l'histoire". Et il a déliré. Il a trouvé ça génial et l'a envoyé à une entreprise, Pantheon Podcasts, qui m'a immédiatement proposé un contrat pour réaliser une série de podcasts. Ils m'ont dit : “Vous en avez d’autres, des histoires comme ça ?" et j'ai répondu : "Ouais, vous savez quoi, ouais ! J'ai des histoires pour toute une vie".

GC
C'est assez dingue qu'ils vous aient proposé un contrat.

RG
Ben, le contrat, si tu veux, il est assez souple. Comme tu le sais peut-être, il n'y a pas d'argent dans les podcasts en général. Enfin, à moins d’être Joe Rogan, la plupart des gens ne gagnent pas d'argent à faire du podcast. C'est une sorte de labeur d'amour. Ou bien le but est de faire un exercice de promotion pour promouvoir autre chose, que ce soit sa propre carrière, ou dans mon cas, je fais la promotion d'une association à but non lucratif que j'ai fondée nommée Armory of Harmony, et je voulais l'utiliser pour promouvoir cela, et pour promouvoir mon studio. C'est donc la raison pour laquelle je l'ai créé, mais c’est devenu plus amusant pour moi d'y penser en termes de "je le fais pour mes petits-enfants et arrière-petits-enfants" - enfin, quand ils seront là - afin que les gens puissent entendre l'histoire de mes paroles plutôt qu'elles ne soient déformées au fil du temps ou simplement oubliées. Et voilà.

GC
C'est un beau projet. La façon dont vous mettez des effets sonores, les chansons aussi, donne vraiment l'impression que tout ça a une certaine atmosphère, et c'est très - et peut-être que cela vient de votre expérience dans le cinéma - mais c'est très cinématographique. Cinématique ? 

RG
Enfin, oui, je suis compositeur de films. Je suis habitué à raconter une histoire avec la musique et le son. C'est amusant pour moi, ça vient naturellement, je n'ai pas à y penser. Mais ça prend du temps. La plupart des gens qui font un podcast, peut-être qu'ils vont interviewer quelqu'un comme tu es en train de m'interviewer là, et on prendra le temps qu'il faut pour faire cette interview, que ce soit 10 minutes ou une heure, et puis on la monte, on met un joli noeud dessus, et on la sort. C'est à peu près tout pour un podcast standard, mais je les crée comme des émissions de radio. Donc dans un podcast standard, quelqu'un passe une heure ou deux à le réaliser, une fois qu'il a mis au point un processus. 

Mais mes podcasts, même s'ils ne durent que 20 minutes, prennent en général trois jours relativement longs pour être réalisés. C'est parce que, si tu veux, on prend notre temps pour s'assurer qu’on a la bonne chanson, qu’on a le bon montage de la chanson, que tout se passe bien. Ensuite on installe les bruitages, puis on revient en arrière et on monte un peu l’histoire, on s'assure que les citations sont correctes et que les choses que je dis sont justes. Il faut juste du temps pour bien faire les choses, au moins selon mes critères. Ils sont donc un peu différents de la plupart des podcasts. Je veux dire, il y a beaucoup de podcasts qui sont très bien faits, je pense, mais la plupart sont assez bâclés. Et ce n'est pas le cas ici.

GC
Bien sûr, comme il est court, on peut imaginer qu'il est produit très rapidement - mais j'aurais jamais pensé que ça prendrait des jours.

RG
Ouais, c’est pas le cas. Je pense que le plus court que j'ai fait c'est deux jours, la plupart c'est trois. Parfois, ça peut être trois heures un jour, quatre heures un autre. Parfois c'est deux ou trois journées de huit heures, ça dépend surtout du sujet, de toutes les recherches et de tous les bruitages. Le dernier que j'ai fait qu’on a sorti lundi, j'ai fait quelque chose de complètement différent, juste pour le plaisir, en tant qu'expérience. J'ai enregistré une piste rythmique avec un ami guitariste. Il a juste joué une guitare rythmique, un peu à la Bo Diddley, un shuffle. C'était une guitare shuffle, et je jouais des percussions, juste une partie de percus très simple. J’en ai fait une boucle juste pour avoir quelque chose. 

Puis j'ai raconté l'histoire par-dessus. J’étais, maintenant, en gros, le chanteur sur une séquence rythmique, même si je ne faisais que raconter une histoire. J'ai découvert que ça me donnait un rythme différent dans la façon dont je racontais l'histoire. Je n'ai pas utilisé cette piste qu’on a enregistrée. Le podcast n'en contient aucune partie, mais ça a complètement affecté la façon dont je raconte l'histoire et lui a donné une certaine intensité, un certain rythme, et on est retourné mettre de la musique et des bruitages après coup. C'était assez marrant. Un petit retournement de situation, je le ferai sans doute plus souvent. Je sais pas, c'était une expérience amusante. Ça a ralenti le processus, mais c'était sympa.

GC
Bien sûr. Oui, il y a un rythme dans la narration, et c'est une très grande composante. Ça prend du temps à maîtriser. [RG : Ouais.] Je suis assez novice en termes de podcast. Enfin, mettez de gros, gros guillemets autour de ça, parce que c'est juste à cause du COVID. J'avais l'habitude de faire des interviews en concert, en festival, etc. Le manager vous donne un délai très court pour le faire, vous devez vous presser pendant 15 minutes, et puis la personne parle pendant 30 minutes et on vous crie dessus, donc c'est un peu plus cool de faire ça en ligne, bien qu'il serait bien plus intéressant de faire un format “radio". [RG : Exact.] Mais personnellement, je suis jeune. Je n'ai pas d'histoires à raconter. Je pense que vous êtes plutôt un genre de mentor pour certaines personnes.

RG
Eh bien, ça vient avec la vieillesse, je suppose (rires). Comme tu dis. 

GC
Oh, j'ai d'autres termes si vous voulez. 

RG
L'expérience. D'accord, de la maturation, disons ça. J’en ai vu, des choses, tu sais, j'aime toujours dire ça. C'est de... D'où ça vient ? “J’en ai vu des choses", c'est Al Pacino, et je crois que ça vient de... Je ne me souviens pas du nom du film, celui où il joue un aveugle dans ce film.

Le film s'appelle “Le Temps d’un Week-End". À un moment, Al Pacino parle à quelqu'un et il dit : “J'en ai vu des choses, tu sais, moi j'ai tout vu, tu vas pas me la faire à l'envers". C'est un peu comme moi dans l'industrie de la musique. J'ai joué beaucoup de rôles, j'ai fait beaucoup de choses différentes. J'ai vu beaucoup de choses, j'ai fait beaucoup de choses, donc à un moment donné j'ai accumulé des histoires, et je sais comme parfois je peux guider des gens qui sont relativement novices, et veulent savoir comment faire un certain nombre de choses dans l'industrie. Je peux parler avec un certain degré d'expertise sur de nombreux sujets ; sur ce que c'est que d'être musicien de session, je peux parler de ce que c'est que d'avoir des contrats de disque, d'être un artiste, j’ai fait tout ça. Je peux parler de la production de disques, je peux parler de la gestion d'un studio et des tenants et aboutissants de cette activité - soit dit en passant, ça n'en vaut pas la peine. Et puis, bien sûr, la musique de film, et la production de films. 

Ce sont tous des domaines dans lesquels j'ai plus d'expérience que la moyenne, donc si quelqu'un vient - j'ai une règle d'or avec les gens. De temps en temps, je reçois un e-mail ou un SMS de quelqu'un qui vient d’obtenir le même diplôme que moi à Berklee. Quelqu'un dit, "Oh, tu devrais appeler Richard, il pourra peut-être t'aider, te donner quelques idées pour commencer". Ma règle de base est la suivante : tu viens à Malibu, et on sort déjeuner. Tu m'achètes un sandwich, et je parle tant que dure ce sandwich. C'est ma règle.

GC
J'ai l'impression que c'est quelque chose de très particulier chez vous par rapport à beaucoup d'autres professionnels chevronnés de l'industrie que j'ai pu rencontrer, croiser. Je pense que vous avez ce côté très terre-à-terre. Vous ne méprisez pas les gens qui se lancent dans l'industrie comme moi ; j'ai ma petite structure artistique à but non lucratif depuis environ deux ans maintenant, et je ne me suis jamais senti rejeté au Composers Breakfast Club. Ca ne ressemble à rien d'"élite" ou de VIP. C'est juste très, très accueillant. J'ai l'impression que c'est quelque chose que vous privilégiez.

RG
C'est tout l'intérêt du Breakfast Club. Je veux dire, tout le principe est d'accueillir les gens et de s'entraider. J'ai participé à de nombreux événements de réseautage au fil des ans, où, tu sais, tout le monde doit porter un badge nominatif, et tout le monde regarde par-dessus son épaule en se demandant "Y a-t-il quelqu'un de mieux à qui je devrais parler ?", et tout le monde est là - du moins la majorité des gens - sont là pour découvrir ce qu'ils peuvent obtenir des autres. Ils essaient de prendre, d'une manière ou d'une autre - qu'il s'agisse d'un numéro de téléphone, d'un contact ou quoi que ce soit d’autre - ils cherchent quelque chose. Ils viennent à ces événements de réseautage en essayant de se faire avancer dans leur carrière. 

Le Composers Breakfast Club a commencé avec deux autres vétérans aguerris comme moi, qui se réunissaient pour prendre le petit déjeuner et partager des histoires, rien que tous les trois. Puis on a commencé à inviter d'autres amis. Et on a toujours conservé cette philosophie. Il s'agit de savoir, comment pouvons-nous nous aider les uns les autres ? Qu'est-ce que nous avons à nous dire ? Qu'est-ce qui se passe ? Quoi de neuf par chez toi ? Il y a tellement plus que ça. Ironiquement, on en tire tellement plus grâce à ça. Le succès. Cette philosophie, j'en tire plus que si je disais "Ok, qu’est-ce que tu peux faire pour moi" au lieu de “qu’est-ce que je peux faire pour toi", et on apprend tellement plus de cette façon, on en obtient tellement plus. 

C'est comme la vieille rengaine sur les profs, les profs apprennent plus que les élèves. Dans l'enseignement, on apprend parce que pour enseigner à quelqu'un, il vaut mieux être instruit ! Tu as intérêt à connaître ton sujet, et tu as intérêt à l'étudier constamment. Les élèves apportent alors quelque chose de nouveau auquel tu n'aurais jamais pensé. Et c'est comme ça pour moi, le Breakfast Club, je rencontre des gens que je n'aurais jamais rencontrés autrement. Si je peux les aider, super, si je peux leur offrir quelque chose, super. Si non, c'est très bien aussi. Puis on a commencé, depuis plusieurs années maintenant, ça a commencé juste avec des gens qui prenaient leur petit-déjeuner. Mais peu à peu, un des autres gars a dit "Hé, j'ai un éditeur qui a une nouvelle approche pour la publication musicale, est-ce qu’il peut venir parler au groupe?", au petit-déjeuner. "Ouais, volontiers". Puis on leur achetait toujours le petit-déj’, pour les remercier de venir partager leur histoire avec nous.

Une fois, un type est venu, le directeur d'un gros studio à Nashville. Il a entendu parler du groupe, et il voulait venir à notre petit-déjeuner et nous parler de ce qu'il faisait pour le studio. Il voulait nous payer - et il l'a fait - le petit-déj', ce qui était un genre de tour de passe-passe unique, en gros, il payait pour parler. Et c'était vraiment marrant ! Une espèce de petite ampoule s'est allumée dans ma tête; "Oh, il y a une contrepartie qui se crée ici, les orateurs en tirent quelque chose aussi". Ils ont accès à un groupe très ciblé d'individus, qui sont dans l'ensemble assez intelligents, certainement créatifs, et qui ont une vision des choses différente de celle, par exemple, d'une convention de comptables ou autre chose - sans vouloir dénigrer les comptables (rires) - mais c'est un groupe unique en son genre. On a en quelque sorte créé un effet boule de neige, un effet de vapeur, où les intervenants qu’on a eus ont été si bons que d'autres personnes veulent venir parler. Je suis flatté par les personnes qui viennent nous parler. D'ailleurs, le rôle que j'assume est celui de conservateur de tout ça. C'est la première chose que j'aime, aider à trouver, repérer des gens pour intervenir qui vont interpeller le groupe.

Il y a déjà plein de structures, il y a l'ASMAC [NdT: American Society of Music Arrangers and Composers] et d'autres où tu peux aller écouter des compositeurs parler. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais je n'ai pas de compositeurs qui interviennent en général. Il y a eu très, très peu d'exceptions à cette règle, et seulement parce qu'ils avaient autre chose à aborder. Je ne suis pas vraiment curieux d'entendre comment un compositeur crée de la musique. C'est ce que je fais. Je n'ai pas besoin qu'ils me disent comment faire.

GC
Vous connaissez déjà ça.

RG
Au moins, je sais comment j'aime le faire. Je suis plus intéressé par le gars comme celui qu’on a eu la semaine dernière, qui a battu le record de vitesse pour un planeur. C'était quoi, 543 miles à l'heure ou quelque chose comme ça ? C'était un avion, un avion télécommandé sans moteur, et il l'a fait aller à cette vitesse en jouant avec les mouvements du vent. C'est fascinant pour moi. Et pour moi, c'est plus stimulant pour la créativité, d'être mis au défi de penser à des choses en dehors de ton expérience habituelle. J'essaie donc de trouver ces gens, même s'ils sont musiciens, compositeurs ou autres. Ce qui m'intéresse, c'est ce qu'ils font en dehors de leurs activités de compositeurs, les autres aspects de leur histoire et ce qu'ils font. 

Tu vois, Stewart Copeland est un compositeur. Mais je ne voulais pas vraiment que Stewart parle de ça ; il ne l'a pas fait. J'étais plus intéressé par... C'est aussi un musicologue, un historien de la musique en quelque sorte, et un fantastique conteur. Et c'était le batteur de The Police. Il y a un tas de choses intéressantes à aborder avec lui. Je voulais entendre ses propres paroles. Là, on a... Mon pote RZA va parler lundi. Et bon sang, il a de sacrées histoires.

GC
Ouais, je vais pas manquer ça.

RG
Ouais, ça va être super. C'est un homme intéressant, alors c'est ce qui m'intéresse. Des êtres humains fascinants avec des histoires captivantes qui vont tous nous inspirer. Je me fiche même de ce qu'ils font, nécessairement. C'est la manière dont ils le font.

GC
Oui, c'est toujours très instructif quel que soit le sujet, et ça peut faire sortir les gens de leur zone de confort, quand il s'agit de leurs centres d'intérêt aussi. De plus, ils sont généralement si terre-à-terre et si bienveillants, que l'on se sent très détendu par rapport à l'industrie dans son ensemble, alors qu'on la voit comme un monstre gigantesque quand on est jeune, petit et qu'on commence. C'est génial de voir des gens sympas pour changer.

RG
Ouais, en fait, j'ai eu des gens qui m'ont aidé quand j'ai commencé. Par exemple, je ne sais pas si tu connais Michael Boddicker, mais Michael est un habitué du Breakfast Club. Il a quelques années de plus que moi, quand j'ai débarqué en ville pour la première fois et que je commençais à peine, l'un des angles sur lesquels je travaillais était de devenir musicien de session, et Michael m'a en quelque sorte pris sous son aile, et a commencé à me lancer du travail de session - du travail qu'il ne voulait pas faire, ou... Parfois, à l'époque, ils faisaient des sessions à la télévision et au cinéma où ils engageaient trois, quatre, voire cinq claviéristes en même temps pour jouer tous en simultané, parce que les compositeurs ne savaient généralement pas comment programmer et faire ça. Aujourd'hui, ça n'arrive plus. Mais à l'époque, si tu voulais ce son, tu avais tout un tas de claviéristes dans une pièce, et on y travaillait tous ensemble. Michael m'invitait souvent à ces séances, parce que j'apportais quelque chose de différent de ce qu'il faisait, tout comme les autres gars, et j'ai beaucoup appris de ça. Donc je renvoie l’ascenseur comme je peux, tu vois, je rends la pareille, comme on dit.

GC
On a vraiment le sentiment que vous rendez la pareille, même par le simple fait de ne pas être condescendant ou de ne pas mépriser quiconque. C'est juste quelque chose dont je suis très, très reconnaissant.

RG
Enfin, laisse-moi me corriger une seconde, ça donne l'impression que j'ai cette fibre altruiste d'un kilomètre de large - c’est pas ça. En fait, c'est un mensonge. La vérité, c'est que j'aime faire ça parce que je reçois ces intervenants qui viennent me défier. Je veux avoir ces conversations, je veux entendre ce qu'ils ont à dire. Sans ce groupe de personnes, je n'aurais probablement pas réussi à faire venir Robert F. Kennedy Jr. pour parler des vaccins dans mon salon. Mais avec un groupe de personnes, on peut parler à RFK Jr. et avoir une conversation fascinante.

GC
Mais vous pourriez être pédant à ce sujet et vous ne l'êtes pas.

RG
À quoi ça servirait ? Je veux apprendre. C'est la plus grande partie de tout ça. C'est ce qui me plaît le plus. Si je m'ennuyais avec les intervenants que nous avons, et que je savais déjà ce qu'ils allaient dire et tout ça, je ne ferais pas ça. Sans hésiter. Je laisserais quelqu'un d'autre le faire. Je vais pas le faire. C'est donc ce que j'en tire, c'est ce qui est cool pour moi. 

Le gars qui est venu, le gars du planeur, c’est ça ? Je le connaissais ni d'Eve ni d'Adam. J'ai juste vu par hasard... Quelque chose est apparu dans mon fil Facebook, ou quelque part dans un fil d'actualité, que ce type venait de battre le record de vitesse pour un avion télécommandé. J'ai regardé la vidéo et je me suis dit "C'est trop cool !" et j'ai mis son nom sur Facebook. Et bien sûr, il était là sur Facebook. Je l'ai ajouté à mes amis, il m'a ajouté, je lui ai envoyé un message et lui ai dit "Hé, j'aimerais te parler de ce groupe", et en moins d'une heure, je l’avais réservé pour parler au Breakfast Club.

GC
C'est à peu près comme ça que ça fonctionne. Vous savez, être un peu gonflé. La pire chose qu'on puisse vous répondre, c'est non.

RG
Je considère pas ça comme gonflé. Enfin, qu’est-ce qu’on en a à faire ? S'il dit non, il dit non, tu sais, ça ne me blesse pas. Rien de risqué, rien de gagné.

GC
Exactement. C'est ce qu’on m'a dit. C'est pour ça que je vous ai ajouté, vous ne me connaissiez pas, c'est juste comme ça que ça s'est passé. Et je vous suis reconnaissant d'être aussi capable de parler avec les petits gars.

RG
Eh bien, si tu veux, ça fait aussi partie de - je te l’avais dit que j'allais vouloir faire de la pub pour mon podcast - un des épisodes s'appelle “Jamais chez soi". L'idée était que je me suis rendu compte, a posteriori, à quel point ma carrière était basée sur le simple fait d'être extraverti, d'être ouvert au monde, de ne littéralement jamais être à la maison, de sortir. Enfin, l'une des histoires là-dedans raconte comment j’ai décroché un contrat de compositeur pour un film, parce que j'ai rencontré par hasard le réalisateur chez Chuck E. Cheese [un restaurant familial], de tous les endroits possibles. Donc on ne sait jamais.

GC
C'est une de mes anecdotes préférées.

RG
On ne sait jamais où l'on va rencontrer quelqu'un. En ce moment, du moins pour l'instant, on a pas ça, alors alors on doit le faire de manière numérique, virtuelle. Ce n'est pas aussi bien, mais ça a bien ses avantages. On peut désormais atteindre les gens du monde entier beaucoup plus facilement. Tout le monde est habitué à ce format et peut rencontrer beaucoup de gens. On a plein de gens qui viennent parler au Breakfast Club maintenant, qui sont partout dans le monde. Des gens de Londres, de Melbourne et certainement de New York sont intervenus, beaucoup de gens, et... Bon sang, oh, Vienne, partout, Tokyo. En personne, ça n'arriverait pas. Mais c'est super ! Tu vois, c'est marrant, mais le fait est : ne reste jamais chez toi. Sors, sors, sors, sors et rencontre des gens, et apprends. C'est là que les choses se passent. Elles ne vont pas se produire en restant assis chez toi. Elles n'arriveront tout bonnement pas.

GC
Oui, absolument. C'est comme ce dicton un peu ringard, qui dit qu’on rate 100% des chances qu'on ne prend pas, tout ça. 

Mais lorsqu'il s'agit de trouver des contrats pour composer au cinéma, à la TV, ou du travail en tant que musicien tout court, la situation était-elle aussi précaire à l'époque qu'elle l'est aujourd'hui ?

RG
Eh bien, je ne sais pas. Je ne sais pas comment répondre à ça... Précaire. Encore une fois, ça paraît un peu bizarre, mais comme je le disais, je suis pas venu en ville pour être compositeur de films. Je suis venu en ville pour être musicien, pour être claviériste. Le travail de musique de film - le tout premier job que j'ai obtenu en tant que compositeur - est venu à moi. Quelqu'un - un copain ingé son - connaissait ce film, où le réalisateur voulait que quelqu'un fasse les arrangements des chansons d'Elvis Presley, et fasse en gros une approche différente à la bande originale. Il avait besoin de quelqu'un qui soit autant producteur de disques que compositeur, en fait sans doute plutôt producteur de disques que compositeur. J'avais une formation de compositeur. Je comprenais comment fonctionne la musique de film, et j'avais déjà pas mal d'expérience en tant que musicien de session, et un peu en tant que producteur. 

Je suis donc allé rencontrer le réalisateur, et l'une des premières choses qu'il m'a dites c'était, "Je cherche pas à engager un compositeur". Je l'ai regardé et lui ai dit "C'est super, parce que je suis pas compositeur", je suis prêt à tout enregistrer. Et on a sympathisé. Bien sûr, il m'a engagé sur-le-champ, après que je lui ai expliqué comment j'allais adapter les chansons en bande originale. J'ai vraiment improvisé sur place, j'ai juste trouvé des idées pour le faire. Il aimait ma façon de penser, et on est toujours ami aujourd'hui. Une fois que j'ai commencé à travailler sur le film, il est devenu évident qu'il avait besoin de musique composée, pas seulement d'arrangements. Tu vois, je sais comment faire ça, je suis formé pour ça. "Laisse-moi écrire des morceaux !" "Ouais, vas-y !". Ça a fini par être mon premier crédit en tant que compositeur de films. 

Ca m'a conduit vers... Le directeur musical de ce film connaissait une offre, puisqu'il était le directeur musical du Tracey Ullman Show. Le Tracey Ullman Show passait sur la Fox à l'époque, et elle était passée par plusieurs directeurs musicaux différents pendant la période où elle avait commencé l'émission, pour une raison ou une autre, ils n'avaient pas fonctionné, ou étaient partis, étaient passés à autre chose. Alors j'ai dit "bien sûr". Ils m'ont dit "Tu veux aller voir Tracy ?”, et j'ai rencontré Tracy et les producteurs de l'émission. J’en savais pas plus que ça, hein (rires). Je suis entré et ils m'ont dit “Voilà, c'est comme ça qu'on fait". Si tu veux, Tracy chante sur un playback et c'est comme ça qu'on fait. J'ai dit, "Je veux pas le faire comme ça”. Ils me regardent - tu viens d'entrer, on te connaît ni d'Eve ni d'Adam, et tu nous dis comment tu vas le faire, sans écouter comment on veut le faire. J'ai dit "Eh ben, je pense que c'est beaucoup plus sympa si le groupe est en live sur le plateau, et qu’on joue en direct pendant que Tracy chante au lieu de la faire chanter sur du playback", et j'ai regardé les yeux de Tracy s'illuminer. Elle a dit “Oui, ça a l'air sympa". J'ai aussi vu les producteurs frissonner dans leur siège, du genre "Oh mon Dieu, quel cauchemar, ça va coûter une blinde", etc. Mais vu que Tracy a aimé l'idée, ils m'ont signé le contrat le plus court du monde - de deux semaines - et m'ont dit "Ok, voyons si ça marche". 


Et j'ai réussi à tout mettre en place. Ca a parfaitement fonctionné. J'ai fait venir le camion d’enregistrement de chez Record Plant, j'ai fait venir mon groupe - mon propre groupe de rock à l'époque, qui étaient tous de très bons musiciens de session - et j'ai fait exactement ce que j'avais dit qu'on allait faire ; on allait être hors caméra, en train de jouer pendant que Tracy chanterait. J’étais en train d'apprendre à être directeur musical sur le tas, et je me suis beaucoup amusé avec ça. Tracy a adoré. De fil en aiguille, j'ai fait ça pendant quelques années. Cette émission, le Tracey Ullman Show, fut le berceau des Simpsons. Les Simpsons, c’était un segment d’une minute sur le Tracey Ullman Show, et la genèse de tout ça est une sacrée autre histoire. Mais c’était juste ces petits courts-métrages bizarres d'une minute, tous différents. Le style d'animation était très différent. Tout était fait à la main.

J'ai rencontré Matt Groening; ces courts métrages n'avaient pas de musique, en général. Mais de temps en temps il avait besoin d'un petit morceau de musique de fond ou autre, et il venait me voir et je lui disais "oui, je vais te faire un petit truc" et ça ne me prenait que quelques minutes. On est un peu devenu amis. Et ils ont tenté leur chance. La Fox, je veux dire, a dit “sortons ça en série télé. Faisons-en une série animée pour les heures de grande écoute” - ce qui était plutôt inhabituel, en fait. C'était un vrai "Je vous salue Marie”, la Fox était en train de couler. La Fox n'était pas une chaîne de télévision à succès à l'époque, ils avaient vraiment du mal, donc ils étaient prêts à tout essayer vu qu'ils perdaient de l'argent. Ils ont donc fait cette émission des Simpsons, ils ont fait appel à Matt Groening, et les producteurs ont demandé à Danny Elfman d'écrire le thème du générique.

Les producteurs ne savaient même pas [qu’on se connaissait]. Ils sont venus me voir et m'ont dit, "Voudrais-tu faire la musique de la série ? Faire toutes les musiques ?" Et j'ai dit, “Bien sûr". Je n'oublierai jamais qu'un des producteurs m'a rencontré pour discuter de ma démarche. Et il m'a dit “Bon, pensez-vous pouvoir écrire dans le style de Danny Elfman ? Vous connaissez un peu?" Et je le regarde, je lui dis, "Vous êtes sérieux ?" Il me fait, "Comment ça ?" J'ai répondu, "Ouais. Ouais, ducon, si quelqu'un peut écrire comme Danny, c'est bien moi. J'ai été dans un groupe avec lui pendant cinq ans ! Evidemment ! Pas de problème." Puis Danny et moi avons eu une ou deux conversations à ce sujet et on en a bien ri. Mais je n'ai pas communiqué avec Danny, il a un peu donné un certain son à ce générique, et j'en ai juste profité pour dériver quelque chose de différent. 

Par ailleurs, ils voulaient que je fasse la musique de la série. Ils avaient prévu un budget pour le faire avec des synthétiseurs et des samplers. J'ai refusé, j'ai dit “Non. Non, c’est pas comme ça qu'on fait". Ils se sont dit que, comme j'étais claviériste, je devrais pouvoir leur faire économiser beaucoup d'argent en le faisant. Et j'aurais pu le faire, mais je ne voulais pas ! Je trouvais que ça sonnerait comme de la merde. Je n'aime toujours pas les séries qui sont faites comme ça. J'ai dit "Écoutez, je suis aussi bon que n'importe qui pour faire ça. Je suis claviériste de métier. Je suis programmeur. Et je veux pas faire ça. Là, vous avez une série en deux dimensions. C'est un dessin animé, plat. Et vous devez lui donner une troisième dimension, vous avez besoin de cette autre émotion pour jaillir de l'écran, et ça va seulement venir d'êtres humains dans un studio jouant la musique pour lui donner cette profondeur et cette émotion". Et ils ont gobé ce discours. Aujourd'hui encore, la série est réalisée avec des musiciens en direct. Mais la première saison, je l'ai faite avec environ 35 personnes, un orchestre de 35 musiciens.

Je divague. Je me souviens même pas de la première question, mais voilà.

GC
Oh, pas de souci. C'est vraiment fascinant à entendre, merci d'avoir divagué. Je me souviens que vous aviez raconté une histoire sur la direction de l'orchestre pendant les séances d’écriture, ou quelque chose du genre ?

RG
Oh, ouais. Enfin, j’y ai beaucoup appris. En gros, j'ai eu un orchestre chaque semaine pendant 13 semaines, à ma convenance. Et j'étais encore assez jeune, et j'écrivais pour un orchestre de 35 musiciens. La vache, je veux dire... J'avais étudié ça en cours, mais je n'écrivais pas vraiment pour un orchestre chaque semaine. Je n'écrivais pas, tu sais, 25 pistes. J'ai appris toutes sortes de raccourcis, des trucs sympas à faire, des façons ludiques de travailler, et j'ai perfectionné mes rudiments de chef d'orchestre. Ils m'ont juste donné carte blanche. “Ils”, c'est-à-dire les producteurs, ils m'ont juste laissé faire. Ils m'ont juste laissé faire parce qu'ils ne savaient pas. Ils n'avaient pas non plus d'idée précise en tête. 

Mon histoire préférée à ce sujet est que Matt Groening venait toujours aux séances de studio, mais ne disait jamais rien. Pas un mot ! Je le voyais peut-être après. Il disait "Oh, c'était vraiment super. Merci, merci, bon travail". Et un jour, je l'ai vu sur le tournage. Il se promenait sur le parking. Je lui ai dit "Matt, tu sais, si tu as un problème avec quoi que ce soit, si tu veux quelque chose de différent, tu peux appuyer sur le haut-parleur pendant que je dirige et me dire ce que tu veux. Enfin, si quelque chose te préoccupe, si c'est pour ça que tu viens...” Il m’a juste dit une des choses les plus gentilles que quelqu'un m'ait jamais dites, il a dit "Oh, non, non, non, je viens juste parce que c'est un concert gratuit.” D'accord ! C'était génial. On s’est tellement amusé. [GC : Trop mignon.] Ouaip. 

GC
Ça avait l'air génial. Vous étiez encore jeune et appreniez au fur et à mesure parce que les boulots venaient en fait à vous. Vous ne les avez pas vraiment activement cherchés vous-même.

RG
Non, je n'avais pas la dalle de cette façon. Je n'étais pas désespéré. Encore aujourd'hui, je n'opère pas depuis la détresse. Je pense que personne ne fonctionne bien en étant désespéré. C’est pas un bon endroit où se trouver.

GC
J'essaie, comme je manage quelques artistes et compositeurs, de les orienter dans la bonne direction, mais je ne vais pas me contenter de leur donner quelque chose parce qu'ils sont désespérés. Il faut un projet qui leur convienne. Et puis c'est quelque chose qu'ils veulent vraiment faire et pas seulement... Parfois, ils ont aussi besoin de manger. [RG : Eh bien oui.] Alors on a rejoint un syndicat. Vous en avez peut-être entendu parler, le Syndicat des Musiciens et des Travailleurs Alliés. [NdT: UMAW.]

RG
Oh, la Fédération Américaine des Musiciens ? [NdT: AFM.]

GC
C'est autre chose, mais c'est un autre syndicat qui se bat pour nous.

De nos jours, pour les jeunes dans cette industrie, la nécessité des syndicats; vous savez, la pression exercée pour obtenir des salaires décents en tant que musiciens, que nous fassions du travail de session, que nous produisions des albums ou que nous fassions de l’intermittence.

RG 
Oh, oui, d'accord. Je peux parler de ça aussi. Le syndicat des musiciens, la Fédération Américaine des Musiciens, est probablement le syndicat le plus faible d'Hollywood, à l’échelle du pays. Ils ont très peu de pouvoir de négociation ici. Il est très faible. C’est très facile de contourner le syndicat. Ce n'est qu'à l'occasion des tournages de films et de séries qu'ils entrent en jeu, généralement aux occasions d’enregistrements musicaux, ils ne sont pas du tout présents. Comme c'est le cas pour beaucoup de productions de films, de films indépendants et autres, ils travaillent en dehors du syndicat, ils font un travail non syndiqué. Et plus précisément, en tant que compositeur, ils ne te représentent pas. Ils te mettront sous contrat, il y a une ligne dans leur contrat pour un compositeur, mais c'est une blague. Ce que tu obtiens par le biais du syndicat en tant que compositeur ne reflète nullement le volume de travail qu'un compositeur y met. Pour les compositeurs, c’est le truc bien drôle à savoir. Les compositeurs n'ont pas de syndicat ou de “guilde” du tout aux États-Unis.

GC
Rien du tout aux États-Unis ?

RG
Non. Ils n'en ont pas eu depuis - je ne sais pas l'année exacte - je vais dire 1972, mais même avant ça, c'était très faible. Il y avait la Composers and Lyricists Guild of America. Elle s'est formée dans les années 50 et a essayé de se développer dans les années 60, et les studios les ont poursuivis et les ont essentiellement détruits. Pendant longtemps, le chef fut Elmer Bernstein. Je ne sais pas si tu connais le travail d'Elmer, l'un de mes compositeurs de films préférés de tous les temps. Ca a bouleversé Elmer. Il a essayé de la maintenir à flot avec son propre argent pendant des années. Il y a donc eu plusieurs tentatives depuis pour organiser un syndicat des compositeurs et des paroliers. Chacune d'entre elles s’est échouée sur la rive, a heurté les rochers. J'ai fait partie du comité de direction de la dernière grande tentative en la matière, il y a quelques années. 

On se fédérait avec les Teamsters. On allait devenir des Teamsters, ce qui est - je ne sais pas si tu connais le syndicat des Teamsters - mais c'est un syndicat très puissant aux États-Unis. Ce sont les camionneurs, tu vois ? Tous les chauffeurs sont des Teamsters et les Teamsters ont le pouvoir d'arrêter toute production. Parce qu’ils peuvent dire, "Si vous ne faites pas ce qu’on dit, vos caméras, vos décors, rien ne va débarquer. Ça sera pas livré. On va interrompre la production du jour au lendemain." Et ils l'ont déjà fait par le passé. Donc personne ne déconne avec les Teamsters, et ils voulaient nous regrouper pour faire partie de leur syndicat. C'était une possibilité exaltante, mais elle ne s'est pas concrétisée pour une foule de raisons. Ça pourrait être un tout autre podcast en soi. Mais je connais, relativement, les rouages du fonctionnement des syndicats vis-à-vis des compositeurs et des musiciens ici. Et ce n'est pas une belle affaire.

GC
J'ai l'impression que c'est très différent en France par rapport aux États-Unis, parce que vous savez probablement que la France a construit ses droits des travailleurs, ses droits aux soins et beaucoup d'autres choses, grâce aux syndicats et aux luttes incessantes depuis plus d’un siècle.

RG 
Les Français ont toujours été bien meilleurs avec les arts. N'est-ce pas ? Je veux dire, vous n’avez pas un genre de ministère de la culture ou quelque chose d'équivalent ? [GC : Bien sûr ! Oui, on en a un.] Tu dis "Bien sûr", on a pas ça aux États-Unis ! Il n’y a aucun équivalent.

GC
Oui, c'est vrai.

RG
Il n'y a pas de poste au niveau gouvernemental qui traite des arts - rien du tout ! C'est ridicule. Il y avait un mouvement en perspective. Quand Obama a été élu pour former un cabinet, d'avoir un secrétaire aux arts; il y a eu une grande pétition qui a circulé avec des centaines de milliers de signatures pour nommer Quincy Jones au poste de secrétaire aux arts, ce qui aurait été incroyable. Mais je pense qu'ils n'ont jamais vraiment pris cela au sérieux, et ça n'est jamais arrivé. Il faut encore que ça se fasse. Nous n'avons pas de représentation au niveau gouvernemental, contrairement à la plupart des pays civilisés dans le monde.

GC
C'est ce qui est un peu effrayant quand vous venez d'un pays comme la France et que vous vous dites “Bon, je vais aller en Californie, rencontrer des gens de l'industrie et voir où je peux aller à partir de là". On se retrouve dépourvu toutes les protections juridiques et au niveau de l'État dont on dispose chez soi.

RG
C’est vous qui avez inventé la PRO [NdT: Sociétés d'auteurs et compositeurs]. Hein ? Oui, c'est ça. La SACEM a été la toute première PRO. Pas nous. C'est vous qui l'avez fait. [GC : Oh, la SACEM, oui.] La SACEM, c’était bien longtemps avant la BMI et l'ASCAP, et c'est toujours une organisation beaucoup plus puissante et beaucoup mieux gérée que ce qu’on a ici. La représentation des arts au niveau juridique, gouvernemental, etc. est vraiment faible, très mauvaise ici.

GC
Enfin, les services administratifs français sont toujours très fastidieux, très lents. Ça me tape sur les nerfs quand il s'agit d'inscrire un artiste à la SACEM, mais vous savez qu'au final, vous aurez beaucoup moins de problèmes; je me souviens de certaines discussions que nous avons eues au CBC quand il s'agissait des "boîtes noires" - beaucoup d'argent qui n'allait pas à l'artiste, qui était complètement perdu pour une raison ou une autre.

RG
Oui, c'est ça. Ouais, c'est généralement une pure incompétence. C’est pas généralement des gens qui essaient d’en arnaquer d'autres. C'est juste que les gens sont cons, tu sais ? (rires) En gros, le titre, quelqu'un l'entre dans l'ordinateur, et le gars se trompe dans l'orthographe du nom de la piste ou du nom du compositeur et tout se perd. Ça arrive tout le temps. Au fil des ans, des juricomptables m'ont trouvé beaucoup d'argent en retournant vérifier ce genre de choses. La SACEM est si attentive à la façon dont vous entrez votre musique dans son système qu'une fois que toutes les données sont béton, ça n’arrive pas.

GC
C'est beaucoup plus difficile de s'assurer que tout est en place, mais une fois que c'est en place, ça a tendance à bien fonctionner pour tout le monde; mais c'est quelque chose qui me fait peur en tant que quelqu'un qui essaie d'exporter un peu mon travail en Californie puisque j’y serai trois mois à la mi-août, si tout se passe bien, on verra ça.

J'ai eu quelques questions de la part d'autres personnes qui vous connaissent principalement de [Oingo] Boingo.

RG
D'accord, je te prends une question Boingo. Qu'est-ce que tu as ?

GC
Ils en ont quelques-unes. Tout à l'heure, vous parliez des Simpsons. Vous avez dit que vous aviez dû reparler à Danny. Donc je suppose que vous n'êtes pas partis en mauvais termes ?

RG
Non, pas du tout. J'ai quitté le groupe en 1984, quand notre premier fils est né. Ce mois-là, j'ai donné ma démission, parce que je n'étais plus concentré sur le groupe. Je voulais rester à la maison, je ne voulais pas faire de tournée, je ne voulais pas faire de répétitions interminables. Et je gagnais toujours plus d'argent - toujours - en dehors du groupe qu'au sein du groupe. J'étais musicien de session, et je gagnais plutôt bien ma vie. Je gagnais plus d'argent que Danny à l'époque. Maintenant, il touche beaucoup plus que moi (rires). Mais je n'avais pas besoin du groupe sur le plan financier. Je l'ai fait parce que j'aimais ça. C'était marrant et c'était une bonne carte de visite pour moi aussi. 

Mais après avoir fait ça pendant trois albums, et je sais pas combien d'années, cinq ans - quatre ou cinq ans que j'étais dans le groupe - il était temps de passer à autre chose. Je ne voulais plus partir sur la route. Je voulais passer du temps avec mon fils en bas âge. Je ne voulais pas rater ses premiers pas ou ses premiers mots, ni rien de tout ça. Donc je suis parti, c'est pour ça que je suis parti. On a eu un petit accrochage juridique quelques années plus tard, mais il n'a jamais été question de mots durs ou quoi que ce soit. C'était juste de l'argent que le groupe me devait - quand je dis "de l'argent", je parle juste de quelques milliers de dollars. C'était rien. Danny et moi avons réglé ça entre nous et tout s'est bien passé. 

Je suis toujours très ami avec Danny. C'est l'un des rares intervenants que j'ai eus - l’un des quelques intervenants compositeurs - au Breakfast Club, parce que je savais que tout le monde voulait entendre ce que Danny avait à dire. Honnêtement, rappelle-toi ce que j'ai dit, pourquoi j'ai dit que je choisis des gens pour intervenir ; c'est parce que je veux entendre ce qu'ils ont à dire. Je connais déjà Danny ! J'ai été dans un groupe avec lui pendant cinq ans, même si c'était il y a longtemps. J'ai une assez bonne idée et un assez bon souvenir de la façon dont il pense. Et on est amis. Je ne vais pas apprendre beaucoup de Danny que je ne connais pas déjà de lui, donc ça ne m'a pas emballé, mais j'ai fini par penser, “Oh, ouais, tout le monde ici veut entendre ce que Danny a à dire, je devrais le faire parler", et j'ai réussi - il m'a un peu rendu fou. Il ne voulait pas parler à neuf heures du matin. C'était trop tôt pour lui parce que c'est un tel couche-tard. C'est la seule fois où on a pris le petit déjeuner, je crois que c'était à midi ou à une heure. C'est la seule fois qu’on a fait ça, je l'ai fait pour Danny. [GC : La vache...]

Mais ouais, je suis toujours en très bons termes avec Danny et on échange des e-mails, quand vient un sujet ou un autre qui intéresse l'un d’entre nous. On s'envoie des e-mails, je lui ai souhaité un bon anniversaire, tout ça, tout ça. On a jamais vraiment été des amis proches quand j'étais dans le groupe. On ne traînait pas beaucoup ensemble ou quoi que ce soit. J'étais le claviériste de Boingo, ça s’arrêtait un peu là. Il y avait des amitiés à long terme au sein de ce groupe qui me précédaient de plusieurs années. Quand j'ai rejoint le groupe, j'étais le poulain. J'étais le bleu, et je l'ai été jusqu'au jour où je suis parti. C'était donc ma relation au sein de ce groupe. Je suis toujours ami avec tous les gars, je parle à Johnny Vatos de temps en temps et à Steve Bartek. Il y a d'autres branches du Composers Breakfast Club. Il y en a une à Venice - qui se réunissait en personne à Venice - vu que c'était près de chez Steve, il fréquentait celle-là.

GC
Trop sympa. Mais sur le plan créatif, à l'époque, j'ai entendu dire que les gars à part Danny n'avaient pas vraiment de contrôle, alors peut-être avez-vous trouvé un meilleur exutoire créatif ailleurs par la suite.

RG
Pour moi, ouais. En fait, c'est une des grandes raisons pour lesquelles je suis parti, c'est que j'avais déjà monté mon propre groupe en dehors de Boingo pour pouvoir écrire. Je voulais écrire des chansons. Mon style de composition est différent de celui de Danny, et j'avais des idées différentes, je déployais mes ailes créatives. Et je ne pouvais pas faire ça dans Boingo. Boingo, c'était le truc de Danny, alors j'ai créé un autre groupe qui était mon truc, et finalement on a réussi à sortir qu'un seul album, puis le groupe s'est dispersé. Mais j'étais quand même content de le faire, c'était chouette.

GC
C'était Zuma II, c’est ça ? 

RG
Oui, monsieur. Ouais, bonne chance pour retrouver ce disque.

GC
Ah ! On trouve le disque nulle part. Il n'y a qu'un seul clip de très basse qualité.

RG
Ouais, quelqu’un a mis ça en ligne. Quelqu'un en avait une copie VHS. Tu peux voir que la cassette est défectueuse, tu peux l'entendre se déformer et tout. [GC : C'est tellement flou.] J’en ai pas de bonne version. Je suis sûr que la bande master existe quelque part dans les coffres de chez CBS Records. Et un jour, quand j'aurai le temps, et que j'en aurai l'envie, j'irai trouver quelqu'un qui m'aidera à la sortir de la chambre forte, pour que je puisse au moins avoir une copie propre de cette vidéo.

GC
Je serais super content.

RG
Je le ferai à un moment donné. Ce sera un projet amusant en soi, rien que de le faire. Ce sera un podcast en soi.

GC
Oh, oui. En tout cas, on est impatients d'entendre tant d'autres histoires de votre part dans ce podcast, parce que vous dites beaucoup “Oh ça, c'est une histoire pour une autre fois". Il y aura beaucoup d'autres fois, je pense.

RG
Tu sais, je me suis assis avec le gars de chez Pantheon Podcasts, [il] m'a demandé, “Vous avez d'autres histoires ?" J'ai répondu "Oui, des tonnes !” Il me fait “Combien, donc ?" Et je lui ai fait "Donne-moi une seconde". Et je me suis assis. Je vais le ressortir tout de suite pendant que je te parle. J'ai décidé d'écrire une liste de sujets, tu vois ? Je savais que j'avais une histoire sur chacun de ces sujets. Je la regarde là maintenant, voyons voir... 10, 20, 30, 40, 50, 60... Je vais dire environ 70, 80 sujets. Et j'en ai fait 13 jusqu'ici, alors voilà. J'ai des tonnes d'histoires. Je commence maintenant à les rendre un peu plus personnelles. Toutes les histoires, le premier tas était personnel dans le sens où elles concernent ma carrière. Mais maintenant je reviens aussi à des choses qui n'ont pas forcément de rapport direct avec la musique.

GC
C'était très intéressant, le dernier épisode, juste de très bons souvenirs à entendre. Vous y avez mis beaucoup d'ambiance, c'était très agréable à écouter pour se détendre après une longue journée.

RG
Oui, ils ont tous été plutôt - sauf celui qui raconte comment le studio a failli brûler - ils ont tous été assez désinvoltes et plutôt enjoués, non ? Ils ont tous un sourire quelque part. Et “Les chroniques du Woodshed", il n'y a pas grand-chose à en rire parce que notre maison a brûlé - et tout ce qui s'en est suivi - mais j'ai senti que c'était une histoire importante à raconter. Il y en aura d'autres comme ça à venir. Je pense que j'essaie d'attirer tout le monde avec des histoires marrantes, et ensuite j’attaquerai le vif du sujet. 

GC
Ouais, tout n’est pas tout rose.

RG
Pas vrai ? Tout n’est pas tout rose. Pas du tout.

GC
Je suis heureux que vous ayez pu raconter ces histoires jusqu'à présent et que vous en aurez bien plus à l'avenir. 

RG
Tu avais d’autres questions sur Boingo, tu disais ?

GC
Quelqu'un voulait connaître la signification de "Whole Day Off", et je lui ai dit que vous ne le saviez probablement pas, parce que vous n'avez pas écrit cette chanson.

RG
A. Oui, tu as tout à fait raison ; B. Voilà un truc cocasse. Je ne connaissais pas les paroles des chansons parce que je n'étais pas un chanteur en tant que tel. De temps en temps, je chantais ; sur certains des disques, comme sur Grey Matter et certaines des chansons, la voix basse, c'est moi parce que j'ai une voix plus grave que n'importe qui dans le groupe, je suis basse. Mais dans la plupart des cas, je ne chantais pas. Je me contentais de faire les parties basses ou criées. Je n’apprenais pas les paroles. Quand j'ai commencé à jouer avec le groupe, et qu’on jouait au Whisky et ailleurs, je regardais les filles au premier rang chanter, je lisais sur leurs lèvres et je me disais : "Oh, c'est ça que Danny chante !" (rires). C'est comme ça que j'apprenais souvent les paroles. 

Je ne faisais pas vraiment attention aux paroles, je ne le fais toujours pas. Ça n’est pas l’amour fou entre nous. Quand j'écoute de la musique, je réagis à la musique. J'écoute des chansons, c'est la musique qui m'attire. Ce n'est pas le texte. Le texte est totalement secondaire pour moi. Et si le texte est bon, alors roule ma poule. C'est pour ainsi dire la cerise sur le gâteau, mais je ne commence jamais avec les paroles en premier. Je ne peux pas me rappeler d'une seule chanson que j'ai écoutée parce que j'aimais les paroles, mais ne me souciais pas de la musique. Jamais. C’est pas comme ça que ça marche. Donc je n'ai pas vraiment fait attention - je ne pourrais pas te dire à quoi pensait Danny quand il a écrit ses chansons, de quoi elles parlent. Je n'ai jamais demandé ! Je m'en fichais. Ce n'est pas comme ça que mon cerveau est câblé. Je suis désolé. Dis à tes amis que je suis désolé.

GC
C'est pas grave. Je vous aurais demandé si vous avez… J’imagine que vous avez sûrement beaucoup d'anecdotes sur Boingo, mais je suis sûr que vous allez nous en raconter beaucoup à l'avenir. 

RG 
Eh bien, j’en ai raconté ici et là sur le podcast quand ça me semblait approprié. Mais le podcast ne parle pas de Boingo, alors je les garde éparses. Je trouve que les histoires les plus intéressantes ne concernent pas Boingo. Quand je suis en train d'écrire quelque chose, et qu’il fait sens d'intégrer Boingo dans l'histoire, je les intègre ! La plupart des podcasts, Boingo n'y est même pas une ombre. Enfin, c'était vraiment cinq ans - quatre ans et demi - cinq ans de ma carrière. Et j'ai 65 ans maintenant, donc c'est vraiment une toute petite partie de ma carrière.

GC
D'accord, ouais. Rétrospectivement, c'est un peu minuscule par rapport à tout ce que vous avez fait.

RG
Ouais, je suis compositeur de films depuis bien plus longtemps que je n'ai été membre d'Oingo Boingo. Je suis musicien de session depuis bien plus longtemps. Je suis propriétaire d'un studio depuis plus longtemps que je n'étais membre de Boingo. Je ne dénigre pas le temps que j'ai passé dans Boingo. J'aimais ça, c'était super, et je suis content de l'avoir fait. Mais ça ne définit pas qui je suis. Parfois, dans certains contextes, je parle à quelqu'un et je me rends compte qu'il est susceptible d'être fan de Boingo, et je lui dis "Ouais, je jouais les claviers dans Boingo", et ça peut ouvrir des portes à une conversation, mais ce n'est pas ce à quoi je pense, dans l'ensemble.

GC
Non, bien sûr, j'imagine que vous aimeriez être reconnu pour plus que le simple fait d'être le claviériste de Boingo, bien sûr.

RG
Ouais, je ne pense même pas à ce pour quoi j'aimerais être reconnu. Je pense que j'aimerais être un podcasteur. Voilà. C'est ma nouvelle carrière. Tu sais qui était Spalding Gray ? Tu as déjà entendu ce nom ?

GC
Je l'ai déjà entendu, mais je ne suis pas sûr de le connaître. 

RG
Spalding Gray était un monologuiste. C'était en quelque sorte un podcasteur en direct. C'est lui qui m'a inspiré le style de ces podcasts. Il allait juste raconter des histoires sur scène, et derrière lui, il projetait de petits clips ou des photos sur l'écran qui illustraient l'essentiel de l’anecdote qu'il racontait de sa propre vie, ou de la vie de quelqu'un d'autre. Et j'adorais son format et la façon dont il faisait ça. C'est sans doute la plus grande source d'inspiration pour moi en tant que podcasteur. Je pourrais m'y voir, ce serait marrant pour moi de pouvoir faire ce qu'il a fait, de me produire en direct et de raconter ces histoires, d'y apporter une autre dimension devant la caméra. Sur scène, tu vois, avec des repères visuels aussi, ça pourrait emmener la chose ailleurs. Si tu vas sur le site web du podcast, invisiblearts.com, chaque épisode comporte une série de photos, et certaines des légendes sont de petites anecdotes en elles-mêmes.

GC
J'ai vu ça, oui. Je trouve que c'est une très bonne idée.

RG
Oui, c'est juste pour illustrer davantage les histoires que je raconte dans le podcast. Juste des petites choses sympa, je pourrais facilement les faire éclore en tant que spectacle.

GC
Ce serait une idée géniale, je pense.

RG
Ce serait génial ! C'est quelque chose qui serait amusant à faire, et tu sais, les podcasts ne font pas d'argent comme on l'a déjà dit. Mais ma performance, elle peut. Prendre la parole en public peut être très lucratif. J'ai des amis qui font ça, qui n'ont même pas une carrière que j'ai eue, qui reçoivent 20 à 25 000 dollars par soir pour aller raconter leurs histoires. [GC : Purée.] Donc ça m'a fait me dire, "Hmm. Peut-être que je vais faire ça. Ce serait amusant, le dernier numéro de mes vieux jours." 

Mais j'ai d'autres choses que je veux faire aussi, donc je cible vraiment en ce moment. Je peux pas encore faire l'annonce officielle, mais je suis sur le point de créer une société de production pour faire des films. J'ai un projet en particulier en ce moment, qu’on cherche à mettre sur pied très bientôt. Ça va être plutôt cool. Ce sera très différent. C'est un documentaire, mais pas un documentaire typique. Tout comme mon podcast essaie de ne pas être un podcast typique. Ce documentaire ne sera pas un documentaire typique. A confirmer ! [GC : Ca a l'air super intéressant.] Ouais, je te tiens au courant.

GC
Merci d'avoir partagé la nouvelle. J’ai le droit de garder ça dans le podcast ?

RG
Oh, bien sûr. Je veux dire, il n'y a rien d'officiel que j'aie déjà annoncé. Bien sûr.

GC
Une dernière question pendant que nous sommes à l'antenne. [RG: Ouais?] C'est quoi cette coupe de cheveux bicolore que vous aviez dans les années 80 ?

RG
Haha ! C'est assez drôle que tu me demandes ça.

C'est justement un des épisodes que j'avais prévu, un des sujets que j'avais écrits c'était simplement "les cheveux". Toutes mes coiffures personnelles au fil des âges. J'ai commencé quand j'étais petit avec une coupe de cheveux à la Beatles, et puis quand j'étais au lycée, j'étais un hippie à fond avec de longs cheveux bouclés, tu vois le genre, hippie surfeur, et puis je suis allé à Berklee, je me suis coupé les cheveux à un moment donné. Je suis allé à Berklee et je suis ensuite venu ici et j'ai laissé repousser mes cheveux. Puis j'ai eu une petite moustache, une petite barbichette pendant un moment, et j'ai décroché le job pour rejoindre Boingo, dont je raconte l'histoire dans l'épisode “Jamais chez soi". Quand je suis allé auditionner pour le groupe, ils ont aimé ce que j'ai fait. Je me disais "Ok, j'ai eu le poste". Danny m'a pris à part et m'a dit "Ok, il y a quelques trucs dont on doit parler". J'ai dit "Pas de problème". 

On répétait dans... Danny avait un loft sur Washington Boulevard, un quartier industriel de L.A., c'était un peu la zone. Il avait ce loft bizarroïde. Tout au fond, cette sorte de petite pièce, le groupe était entassé là et c'est là qu’on répétait. Et Danny me tire dans son loft, là où se trouvait sa chambre, pour me parler en privé. Il me dit “Bon, deux-trois trucs". Il m'a en quelque sorte parlé du fonctionnement du groupe, des règles du groupe, et puis l'une des choses était "Et tu vas devoir te couper les cheveux, parce que tu sais, il y a une certaine image qu’on veut véhiculer". C'est l'ère du punk new wave, et cette histoire de barbichette et longs cheveux bouclés n'allait pas marcher ! J'ai juste dit “OK, d'accord, bien sûr". J'ai coupé mes cheveux. C'est la première fois que j'ai eu les cheveux vraiment courts. Depuis que j’étais tout petit, vraiment. Ça m'a un peu secoué un moment.

Et, oh mon Dieu, il y a tellement d'histoires sur les cheveux que je pourrais donner. À un moment donné, un de nos roadies était aussi coiffeur. Il faisait des coupes de cheveux punk et new wave pour les gens. Et il m’a dit, "Hé, j'ai des idées pour toi. Tu veux t'amuser un peu ?" Je lui ai répondu "Je m'en fous, ouais, vas-y". C'est donc lui qui a conçu tout ce truc où il décolorait sur le côté de ma tête, et il y avait un V à l'arrière, au bas de ma tête, donc les côtés étaient d'un blond blanc.

Le haut c'était mon brun naturel, le reste était brun. Puis il mettait un peu de décolorant - ça me rendait toujours nerveux quand il le faisait - dans mon sourcil, un sourcil avait une petite bande de blond, ce blond blanc. Je trouvais ça drôle et marrant et pourquoi pas, j’y ai pas pensé plus que ça. Puis j'ai quitté le groupe, et j'avais toujours cette coiffure quand je suis parti. Je suis allé voir le groupe jouer après mon départ, et il y avait un type dans la salle qui regardait le groupe et qui avait pompé ma coiffure.

Le type était assis dans la salle et il avait exactement la même coiffure que moi. Et je me suis dit “C’est bon. Faut que- Je peux plus faire ça". Et j'ai tout coupé et recommencé. Depuis, j'ai laissé repousser mes cheveux, puis j'ai eu des dreadlocks presque jusqu’au milieu de mon dos.

Et puis, par coïncidence, j'ai commencé à travailler avec Korn. [GC : Bien sûr.] Et mes dreads étaient meilleures que celles de Jonathan. Tu peux lui dire que j'ai dit ça. Munky avait de meilleures dreads que moi, le guitariste. Je les ai gardées longtemps. Bref, longue histoire, mais en ce qui concerne les cheveux bicolores, c'est comme ça que ça s'est passé.

GC
Et c'est une belle histoire. Merci. [RG : Bien sûr.] Oh, mon Dieu. Eh bien, merci beaucoup d'être ici, d'avoir accepté cette invitation parce que ce podcast était long à venir, et je vous souhaite bonne route pour vos futurs périples.

RG
Je te remercie ! Génial !

CL
Musicians' Teatime est une production d’Acid Airplane Records, animée par Gabriel Chesnet et Cyd Levine. Tous les épisodes sont accompagnés d'une transcription complète et d'une traduction en français sur le site web d'Acid Airplane Records. Merci de vous être joint(e) à nous aujourd'hui !